Héliski : une pratique anachronique

L’héliski a été interdit en France à la fin des années 70. Depuis, la prise de conscience de la fragilité de l’environnement montagnard n’a fait que croître avec la crise climatique. Pourtant, ce symbole ostentatoire et les nuisances d’une minorité au détriment d’une majorité continuent d’être autorisés dans une partie de l’Europe et largement tolérés en France.

Enquête parue dans Montagnes Magazine n°326 (février 2008)

En ce qui concerne les déposes illégales, généralement rapportées par des témoins sur le terrain, elles demeurent difficilement quantifiables. Les quelques plaintes déposées semblent rester le plus souvent sans suite. Le 19 avril 2003, des skieurs de randonnée assistent à une dépose de trois skieurs et un surfeur sur le plateau sommital du Rochail, en Isère. Intrigués, ils font une déposition auprès de la gendarmerie de Bourg-d’Oisans. La compagnie d’hélicoptères privée du Secours aérien français (SAF) basée à l’Alpe d’Huez reconnaît avoir effectué cette dépose à la demande du maire de Villard-Notre-Dame, pour « activité professionnelle ». Le maire étant incapable de fournir une pièce justificative, l’association Mountain Wilderness porte plainte contre x le 23 avril auprès du procureur de la République de Grenoble pour dépose héliportée illégale. L’histoire fait d’autant plus de bruit qu’elle met en cause une personnalité grenobloise : Jacques Glénat, patron des éditions homonymes. L’affaire en reste pourtant là, le procureur ne donnant pas suite au courrier de Mountain Wilderness. Déjà dans les années 80, l’alpiniste et écrivain François Labande raconte avoir déposé un témoignage auprès de la gendarmerie de Chamonix après le crash d’un hélicoptère qui transportait des skieurs au dôme du Goûter. L’affaire resta sans suite pénale. Difficile, dans ces conditions, de décourager les resquilleurs. 

La loi française interdit les « déposes » de skieurs mais ne mentionne pas les « reprises ». Au final, l’esprit de la loi est clairement bafoué par des professionnels de la montagne et les compagnies d’hélicoptères. Ainsi, la reprise de skieurs en fond de vallée est devenue monnaie courante. Dans la vallée de Clavans par exemple, des hélicoptères récupèrent les skieurs au bas du hors-piste du Grand Sablat et les ramènent à l’aérodrome de l’Alpe-d’Huez, station de départ. Bonneval, au fond de la Maurienne, est devenue une base de reprise pour les horspisteurs descendus depuis les remontées de Val-d’Isère. Certains poussent la logique plus loin, notamment du côté de Courchevel où la clientèle fortunée ne manque pas : les clients, accompagnés de leur guide, décollent en hélicoptère de l’aérodrome de la station (à 2 005 m d’altitude), se font déposer à la plate-forme du col du Petit-Saint-Bernard où ils embarquent dans un hélicoptère italien qui dispose d’une concession pour une dépose au sommet du Ruitor. Ils descendent sur le versant français. Au bas de la montagne, au petit hameau du Miroir, l’hélicoptère les récupère et les ramène à Courchevel. « La demande des clients pour ce type de pratique augmente, l’offre des professionnels aussi » reconnaît Guillaume Prin, moniteur à Courchevel. Voilà une pratique qui ressemble à s’y méprendre à de l’héliski « version française ». Certains professionnels regrettent ces abus, comme Lionel Philippe de la société Pyroutdoor : « Je propose des sorties héliski sur le versant espagnol des Pyrénées, mais il ne me viendrait pas à l’idée de descendre sur le versant français et encore moins d’y effectuer une reprise, qui serait une façon de contourner la loi. »


L’hypocrisie des professionnels

Une visite sur les sites internet de 19 stations de Haute-Savoie montre que plus de la moitié affiche l’héliski dans la palette des activités proposées. Plus flagrant, sur les sept compagnies des guides listées sur le site du Syndicat national des guides de montagne (SNGM), six proposent sur leurs sites des sorties d’héliski. De même pour la plupart des bureaux des guides. Des sociétés consacrées uniquement à la pratique de l’héliski se sont montées en France.

Au Syndicat des moniteurs de ski français (SNMSF), la position est claire. Jean-Marc Simon, directeur administratif et financier, estime que l’héliski « est un produit particulièrement intéressant, qui génère, avec la clientèle qu’il draine, un flux économique certain ». Il regrette au passage qu’« avec la psychose du réchauffement et le coût de l’énergie, il est encore plus difficile d’exposer un point de vue en faveur de l’utilisation de cet outil ». Le SNMSF et l’École de ski français se sont récemment associés à d’anciens champions de ski pour former une structure (Élite du ski français) qui propose, entre autres, des sorties héliski aux particuliers et entreprises. L’héliski a la cote chez les VIP. Dans une interview diffusée sur l’Internet, un pilote d’hélicoptère spécialisé dans l’héliski dresse la liste de ses clients : le roi Carl Gustav de Suède, Alain Prost, des pilotes de F1, Cyril Neveux, Janie Longo, le président de Mercedes, le prince de Bavière, Amberto Agneli le président de Fiat, etc. Si les « élites » sont censées montrer l’exemple en matière de comportement responsable vis-à-vis de l’environnement, nous voilà rassurés. Précisons que les hélicoptères utilisés pour ce type d’activité consomment entre 150 et 180 litres de carburant par heure et rejettent de l’ordre de 600 kg de CO2 par heure de vol, soit l’équivalent de 5 000 kilomètres avec une voiture économique.

À en juger par l’offre des professionnels, l’héliski est devenu en France une activité importante. Pour être au goût du jour, il faut faire mention de l’activité sur sa brochure. Javier Garrido, de la société Aragon Aventura (par ailleurs président de l’Association espagnole des guides de montagne) propose l’activité avant tout « pour une question d’image ». Rémi Thivel, guide de haute montagne dans les Pyrénées et farouche opposant de l’héliski, constate : « C’est très tendance pour un guide d’avoir des clients qui font de l’héliski. On perçoit même chez certains du mépris envers ceux qui n’en font pas. L’héliski est souvent présenté dans notre métier comme une preuve de réussite professionnelle. » Jean Bouchet, guide indépendant à Chamonix, confirme que ceux qui portent un regard critique sur cette pratique sont rares dans la profession. Il se souvient de la seule sortie qu’il a faite en héliski au dôme des Glaciers dans le massif du Mont-Blanc : « Dans notre groupe, il y avait des riders qui hurlaient des remarques méprisantes à l’encontre des skieurs de randonnée qui remontaient la pente. J’avais honte. L’héliski est une pratique irrespectueuse vis-à-vis de l’environnement montagnard et des randonneurs. »

Selon les estimations du SNGM, l’héliski ne serait pratiqué que par 5% des guides environ. Parmi cette petite minorité, il représente pour certains une part importante de leurs revenus hivernaux. Françoise Gendarme, présidente du syndicat, reconnaît que si l’héliski reste une activité marginale pour les guides, elle n’est pas sans conséquence sur l’image de la profession. Le guide, précise-t-elle, « doit défendre le milieu dans lequel il vit et avoir une pratique autant que possible exemplaire ». Le syndicat n’a toujours pas de position officielle sur le sujet.
Le guide Yannick Vallençant dirige aujourd’hui une société de conseil en environnement et tient un discours plus sévère vis-à-vis de la profession : « Aujourd’hui, les guides répondent à la demande sans aucune réflexion sur le long terme. Au lieu de faire de l’héliski ou d’enchaîner les voies normales du mont Blanc, ils devraient proposer à leurs clients d’autres approches plus respectueuses de la montagne. C’est aussi notre rôle, et il y a sans aucun doute de la demande. Aujourd’hui, beaucoup de guides évacuent les considérations éthiques par des justifications économiques. Ils scient la branche sur laquelle ils sont assis. » Yannick Vallençant regrette l’absence d’un débat global collectif au sein de la communauté des guides, et en premier lieu l’absence d’une prise de position officielle du SNGM et de l’Union internationale des guides de montagne (UIAGM). Interrogé sur les réactions que ses remarques suscitent auprès des autres guides, il ajoute : « Les quelques guides qui osent critiquer haut et fort l’héliski passent pour des donneurs de leçons, des ringards. Le milieu de la montagne n’est pas le plus progressiste qui soit. Paradoxalement, les guides, attachés au milieu naturel, ont du retard par rapport à la prise de conscience du public sur les questions d’environnement. » Quelques célèbres figures de la montagne comme Pierre Tardivel, Patrick Gabarrou ou le grimpeur suisse Claude Rémy affichent tout de même ouvertement leur opposition à l’héliski, au nom de la protection de la nature.

Au-delà de l’héliski se pose plus généralement la question de l’usage et de la banalisation de l’hélicoptère en montagne. À Mountain Wilderness France, on s’inquiète des multiples dérives déjà existantes : balades en raquettes avec retour en hélicoptère, vols panoramiques, simple moyen de transport pour les plus fortunés. La société helico-ski.com propose aux vacanciers de visiter plusieurs stations en un seul séjour, en remplaçant les trajets en voiture par des navettes d’hélicoptère. Ainsi, sur une semaine, un client pourra skier un jour à Val-d’Isère, l’autre à Courchevel, le suivant à Méribel et ainsi de suite. La société Swiss Eternity propose à ses clients un vol en hélicoptère au-dessus du Cervin, du mont Blanc ou du glacier d’Aletsch pour y disperser les cendres de défunts. La scène est filmée et un DVD est remis au client… En juillet dernier, Mountain Wilderness dénonçait une opération de communication lancée à l’occasion du 40e anniversaire du refuge de la Muzelle, situé en plein parc national des Écrins : pour 60 euros, les organisateurs proposaient aux invités d’être transportés en hélicoptère jusqu’à la limite du parc, évitant une demande d’autorisation dérogatoire. 

Vers une harmonisation européenne ?

Les associations de défense de la nature souhaitent une harmonisation européenne par le haut sur la question de l’héliski. Elles demandent aux pays les plus permissifs comme la Suisse et l’Italie de caler leur législation sur celles des pays interdisant la pratique, telle la France. En 1987, les thèses de Biella, texte fondateur de Mountain Wilderness International, annonçaient la couleur : « Il faut interdire (…) l’utilisation des moyens aériens pour déposer touristes et skieurs en altitude. » Un an plus tard, dans le cadre d’une conférence internationale, la FRAPNA Isère demande une interdiction de déposes dans tous les pays de l’arc alpin. Sur le front des pratiquants, l’Union internationale des associations d’alpinistes (UIAA) approuve en 1994 une résolution mentionnant que « la dépose et la reprise de personnes pour des activités à des fins de loisirs ou à but commercial doivent être exclues pour des raisons à la fois éthiques et de pollution sonore dans des zones de montagne appréciées pour leur patrimoine naturel ».

La Convention alpine est considérée par certains comme un outil potentiel d’harmonisation des législations. Cadre juridique et politique, elle a pour ambition de favoriser un développement durable dans l’arc alpin. Elle a été signée à Salzbourg le 7 novembre 1991 par les huit pays alpins de l’Union européenne, puis ratifiée le 27 mars 2000. La seule disposition concernant l’héliski se trouve dans le protocole d’application « Tourisme » de la Convention (article 16) : « Les parties contractantes s’engagent à limiter au maximum et si nécessaire à interdire, en dehors des aérodromes, les déposes par aéronefs à des fins sportives. » Si cette clause constitue bien un encouragement pour une réglementation plus stricte de l’héliski, elle n’implique aucune obligation d’interdiction. Par ailleurs, à l’instar de la loi française, seule la dépose est mentionnée, laissant la reprise possible. Enfin, la Convention se contente de parler de déposes à des « fins sportives » alors que la loi française englobe plus généralement les déposes à des « fins de loisirs ». Malgré toutes ces réserves, la Suisse et l’Italie demeurent les deux seuls pays à n’avoir pas ratifié ce protocole. La Commission internationale pour la protection des Alpes (CIPRA), observateur officiel auprès de la Convention alpine, tient un discours plus ferme. Le 25 septembre 1997, elle a adopté une résolution « pour une interdiction générale de l’utilisation de l’hélicoptère à des fins touristiques dans les Alpes ». La CIPRA demande aussi une clarification de la loi française notamment en ce qui concerne la question des reprises ou la définition de la dépose. Reste l’Union européenne, elle aussi signataire de la Convention alpine. « En parvenant à ses obligations du protocole Tourisme, elle pourra à son tour exiger de ses pays membres des textes législatifs plus restrictifs, voire l’interdiction de la dépose par aéronefs » estime Alexandre Mignotte de CIPRA France.

Dans les Pyrénées, le CIAPP milite pour une harmonisation des lois du massif et souhaite que l’Espagne se cale sur la loi française. Javier Garrido, président de l’Association espagnole des guides de montagne, pense à titre personnel que l’interdiction générale de l’héliski serait la meilleure option. Parmi les professionnels qui pratiquent l’héliski, certains se disent prêts à y renoncer du moment qu’il est aussi interdit dans les autres pays. Ainsi serait réglée la « peur » de la fuite de précieuses devises chez le voisin. À l’UIAGM, le président Bruno Pellicier reconnaît : « Avec le discours ambiant sur l’environnement, la question de l’héliski sera forcément abordée. »

Sur le front suisse pourtant, le débat s’enlise. Les associations de protection de la nature ne sont pas optimistes. L’OFAC réaffirme en effet que « l’héliski participe à la qualification des pilotes et aide indirectement au maintien du sauvetage aérien en montagne », reprenant un des arguments forts des défenseurs de la discipline. Il rappelle que l’héliski représente une offre touristique importante et « une source de revenus non négligeable pour plusieurs entreprises ». Pourtant, selon Rolf Meier, coordinateur de la campagne « Stop heliskiing » à Mountain Wilderness Suisse, « le chiffre d’affaires engendré par l’héliski ne représente que 5% du chiffre d’affaires total réalisé par les compagnies de transports héliportés proposant de l’héliski en Suisse ». Pour Joseph Morelli, guide à Verbier, l’héliski représente jusqu’à 50 % de son activité l’hiver. « Nous ne sommes que deux guides dans ce cas sur la station. Pour les autres, l’héliski ne dépasse pas 10 % de leur activité. La pratique reste marginale mais elle est amenée à se développer car la bonne neige se fait rare vu le succès du hors-piste. La bonne poudreuse vaut de l’or et une certaine clientèle peut se l’offrir. Il serait dommage de l’en priver. » Mountain Wilderness ou Pro-Natura se sont retirées de la table des négociations avec l’OFAC, considérant le débat biaisé d’entrée. « Les liens entre l’OFAC et les compagnies privées d’hélicoptères sont trop étroits. Les négociations actuelles ne sont qu’une façade » estime Rolf Meier. « Lorsqu’on randonne au printemps du côté de la Jungfrau, on peut voir jusqu’à 50 déposes en deux heures » constate-t-il. Le Club alpin suisse poursuit le dialogue. Des motions déposées au Parlement en 2002 et 2003, l’une pour demander l’interdiction de l’héliski dans la région Jungfrau-Altesch-Bietschhorn, l’autre pour exiger l’abolition de tous les sites d’atterrissage en montagne, n’ont pas abouti. Selon Rolf Meier, « on n’est pas près de voir l’héliski interdit sur le sol suisse, du moins dans le Valais ». En Italie, les associations de protection de la nature pensaient voir progresser le dossier lorsque le Sénat a voté début 2001 un projet de réglementation nationale de l’héliski. La loi n’ayant pas été examinée à temps, le processus a été interrompu avec le changement de gouvernement au mois de mai suivant.

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